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Nous croyons que notre maison thérapeutique est toute juste assez grande pour l'ostéopathie et que lorsque d'autres méthodes y pénètrent, autant d'ostéopathie doit en sortir.
Cette citation ressortie à l'envie pour justifier une vraie ostéopathie face à des praticiens qui pratiqueraient une ostéopathie mélangée à d'autres approches. C'est dommage de ne retenir qu'une phrase sur un ensemble d'écrits beaucoup plus large.
Dans le même ordre d'idée, il y a un texte qui reprend l'idée d'une ostéopathie dévoyée: The tree and the wind: a fable of Osteopathic growth and destruction de Eileen Di Giovanna mais il faut garder en tête que ce texte est écrit dans un contexte où le DO permet d'accéder au statut de MD contrairement à chez nous.
Qu'a réellement écrit Still sur ce sujet? En réalité dans la même page que la première citation (p23), on trouve deux autres phrases qui relativisent cette citation.
Nous ressentons beaucoup de sympathie pour d'autres méthodes de guérison naturelles ne faisant pas appel aux drogues, mais nous n'incorporons aucune autre méthode dans notre système.
L'ostéopathie est un système indépendant et peut-être appliquée à toutes les conditions de maladie, y compris les cas purement chirurgicaux, et dans ces cas la chirurgie n'est qu'une branche de l'ostéopathie.
Ces deux citations relativisent la première. D'une part, Still considère que des approches différentes peuvent être parfaitement complémentaires de celle des ostéopathes. D'autre part, l'ostéopathie reste ouverte aux autres approches tant qu'elles sont sous-tendues par les mêmes principes.
Ainsi, cela va tout à fait dans la pratique quotidienne pluridisciplinaire que nous avons avec les pédicure-podologues, les masseur-kinésithérapeutes, les médecins, les sages-femmes, les dentistes, les orthophonistes, les ergothérapeutes, les psychologues, les infirmières.
Ce qui veut dire que loin de fermer grand les portes de la maison de l'ostéopathie à d'autres approches, elles ont autant leur place que les autres tant qu'elles respectent les règles de la maison en question. C'est plutôt logique quand on conçoit comment fonctionne la grande famille des thérapies manuelles. Chacune des approches ostéopathiques (Cranio-sacrée, viscérale, fasciathérapie, myothérapie, digipuncture, manipulation vertébrale) existe indépendemment. Ce qui les fait appartenir à la maison ostéopathique, c'est lorsqu'elles sont appliquées suivant les principes ostéopathiques.
De même, est ce que le fait d'utiliser des instuments de mesures nous éloigne de l'ostéopathie?
On attend du mécanicien qu'il procède à un examen critique et fournisse un rapport fiable de cet examen. Il possède une équerre, un fil à plomb et un niveau [...]. Appelé pour examiner, découvrir et corriger la cause des dysfonctions résultant en une action imparfaite des capacités et principe du corps humain, un ostéopathe peut-il se permettre d'ignorer la vérité sacrée qui vient d'être illustrée par cette comparaison? En tant que mécanicien, je dis non."
Dans cette citation (p38), il s'agit d'une comparaison entre le mécanicien et l'ostéopathe, une comparaison que l'on retrouve fréquemment dans les ouvrages de Still. L'importance des moyens pour mettre en évidence les potentielles dysfonctions afin de mieux comprendre et corriger le problème est mise en avant. L'approche ostéopathique est présentée comme un guide pour comprendre. Mais elle n'est pas incompatible avec le fait d'utiliser ces moyens:
Il carre, aligne, nivelle tous les appuis, les axes et les cavités.
Cette citation (p38) résonne parfaitement avec cette autre à la page 301:
Le mécanicien ou ingénieur, désireux d'amener le corps humain de la condition anormale, qu'est la maladie, jusqu'à la normale, qui est la santé et le bonheur, doit penser et agir comme un mécanicien, sinon ses efforts seront voués à l'échec.
L'utilisation de moyens de mise en évidence est donc parfaitement compatible avec notre pratique, que ce soit la posturographie, le fil à plomb, l'analyse quantifiée de la marche, la goniométrie, et certains tests cliniques.
Si ces tests permettent de mieux comprendre l'interaction des différentes parties du corps entre elles, si elles aident à faire la preuve de l'amélioration de l'état de santé du patient, pourquoi s'en priver?
Bien sur, la main reste notre outil de base et il n'est pas logique de s'en passer. Mais comme tout sens, il peut être sujet à l'illusion (Illusion de müller-lyer, de la verticale-horizontale, de delboeuf). J'y reviendrai dans un prochain billet. Être épaulé par des moyens objectifs pour assurer son diagnostic est peut-être une évolution possible de notre exercice, surtout à une époque où le big data et les moyens de mesures à un coût raisonnable et embarqués sont implémentés dans les portables de nos patients.
Cet autre ouvrage est à lui seul une preuve que l'ostéopathie n'est pas hermétique. L'édition traduite par Pierre Tricot est riche en notes de bas de page sans compter la préface à l'édition française. Il est alors intéressant de voir toutes les influences de Still (Je vous renvoie vers la préface du livre):
On peut donc voir que l'ostéopathie de Still est issue d'un mélange d'influences. Elle porte en elle plusieurs tendances que Marie Eckert a très bien mis en évidence dans son ouvrage, et que l'on voit aujourd'hui en terme de formation.
L'ensemble de ces courants n'est pas incompatible. Par exemple, les deux premiers sont les deux faces du concept de viscoélasticité.
Intéressons nous à d'autres sources qui pourraient montrer que Still n'était pas fermé à d'autres approches:
La conférence de Jason Haxton, directeur de l'AT Still Museum, dont vous trouverez la vidéo juste après. Elle commence par une anecdote sur les bottes de Still, et sur un point précis, les semelles. Celles-ci lui permettaient de corriger un problème d'équilibre, le corps humain, une machine parfaite?
Ce bon vieux docteur n'était pas réfractaire donc à une bonne paire de semelles pour corriger l'imperfection de sa propre mécanique. Il est aussi précisé qu'il avait testé de nombreuses lunettes différentes.
Jason Haxton aborde aussi la question de certaines influences. Je vous en recommande le visionnage si la langue de Shakespeare ne vous rebute pas.
Prenons un article de l'ostéoMag sur l'ATStill Museum, il y est rapporté le jardin de plantes médicinales utilisées par Still. Il semble donc que parfois le drugstore que représente le corps humain nécessite une aide (certes, non pas de drogue comme entendu par une des citations plus haut mais une plante médicinale constitue un apport extérieur au corps du patient).
Ainsi Still pouvait employer d'autres moyens pour résoudre certaines problématiques.
Je pense que la citation qui ouvre ce billet de blog doit être prise dans son contexte et remise en perspective avec le reste des écrits de Still mais aussi sur les témoignages et découvertes qui ont été faites depuis sur sa vie. Son rejet de l'allopathique vient de ses expériences malheureuses passées mais aussi des succès de l'ostéopathie.
La philosophie de Still est donc un produit des influences de son époque et son auteur nous laisse des portes ouvertes vers une possible évolution. Si le keep it pure de Still laissait planer une idée de continuité, elle n'impose pas l'immobilisme. L'oeuvre de Still n'est pas une bible et doit être prise pour ce qu'elle est, c'est à dire la transmission de la pensée du fondateur d'une profession.
Tant que les principes et l'esprit sont respectés, l'ostéopathie est en mesure d'accueillir beaucoup d'approches et d'influences. Une approche moins dogmatique ainsi qu'une relecture de Still mise en perspective par d'autres points de vue philosophiques ou scientifiques seraient plus intéressantes. Pierre Tricot mais aussi de nombreux mémoires ont amorcé le travail de relecture de Still.
Il est intéressant de voir que certaines observations faites sur le poids du mode de vie dans les troubles fonctionnels étaient posées par des ostéopathe en 1928 et que la prise en charge devait s'intéresser à ça (conservatism) avant d'aller chercher des solutions dans l'ostéopathie et dans la chirurgie. Prévenir plutôt que guérir.
En conclusion, je pense qu'une autre citation de Still toujours, dans Ostéopathie, recherche et pratique, à la 297ème page est surement plus constructive que celles qu'on entend (trop) fréquemment:
Je suis heureux que les ostéopathes, de toutes les écoles, puissent démontrer par leur travail que leur philosophie est vraie.
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