Dans le rapport de Cortecs sur l'ostéopathie crânienne, un terme est apparu à la faveur de l'analyse épistémologique de l'approche bio-dynamique en ostéopathie: Le vitalisme.
Doctrine philosophique qui pose l'existence d'un principe vital distinct à la fois de l'âme et de l'organisme, et qui fait dépendre de lui toutes les actions organiques. (Elle est le fait de l'école de médecine de Montpellier au XVIIIe s. avec notamment Barthez et Bichat. Cette doctrine s'oppose au mécanisme de Descartes. Jacques Monod a montré que la persistance de ce courant de pensée, bien que sans fondement scientifique, était le reflet d'une analyse aux termes de laquelle le déterminisme a, en biologie, une définition et une place spécifique et fondamentale.)
Caractère propre aux êtres possédant des structures complexes (macromolécules, cellules, organes, tissus), capables de résister aux diverses causes de changement, aptes à renouveler, par assimilation, leurs éléments constitutifs (atomes, petites molécules), à croître et à se reproduire.
La vie est donc décrite par un certain nombre des processus qui caractérisent les êtres vivants (pluri à unicellulaire, eu et procaryote). En revanche, il n'est pas fait mention d'un principe ou d'une force vitale.
dans les années 1820
Seulement voilà, cette force vitale, ce n'est pas une hypothèse que l'on peut vérifier expérimentalement. Ce n'est donc pas une hypothèse de travail scientifique. Même si de nombreux scientifiques très célèbres du passé (Pasteur, Bichat, Bernard) ont été vitalistes, cela n'en fait pas un point de vue scientifique.
Mais alors comment expliquer que cette hypothèse persiste dans certains courants de l'ostéopathie, voire de biologie? Pour cela, il faut s'interroger sur ce que permet une telle hypothèse pour l'individu. Il permet d'éviter de voir la vie (nous y reviendrons dans un article consacré à George Canguilhem) se résumer à une série de lois physiques et de laisser à la vie une place à part dans le monde.
L'émergentisme est une des positions intermédiaires entre le vitalisme et le réductionnisme. Elle repose sur le concept d'émergence.
Des entités émergentes peuvent être le résultat de l'action d'entités plus fondamentales et pourtant être parfaitement nouvelles ou irréductibles par rapport à ces dernières.
Bon, l'idée contenue dans la citation n'est pas forcément évidente mais elle suppose qu'un tout n'est pas égal à la somme de ses parties et que de nouvelles propriétés peuvent émerger de leur association. En fait tout est question de complexité. À partir d'un certain niveau de complexité, de nouvelles propriétés émergent de l'association des parties. Si les parties sont bien entendu réductibles, les propriétés émergentes, elles, sont irréductibles car liées au niveau de complexité auquel elles sont rattachées.
Cette approche est étudiée en Intelligence Artificielle (Emergent computation) où il est expliqué qu'un système peut voir émerger des propriétés non prévues dans son codage initial. C'est par exemple, pour un programme, lorsqu'on le lance plusieurs fois de suite, pour les mêmes données initiales, on obtient différents résultats. Il y a donc à l'ntérieur du programme et dans les intéractions entre ses différentes sous-parties une propriété émergente (non codée au départ) qui induit un changement dans les résultats.
Bien entendu, cette approche est discutée puisque cette propriété émergente pourrait être aussi le fait d'autres propriétés non comprises dans les échelons inférieurs ou d'intéractions encore non connues.
Ce concept permet d'éviter l'écueil du recours au concept plus difficile à expliquer de "force vitale". Il s'agit une position philosophique différente qui peut mener à une autre vision du phénomène. L'émergentisme est une hypothèse, pas une vérité.
Le vitalisme est un courant philosophique ancien qui se base sur un certain nombre de présupposés impossibles à démontrer scientifiquement. Si son existence et sa persistance dans l'ostéopathie peuvent s'expliquer pour des raisons historiques, philosophiques, mais aussi intellectuelles, il est de plus en plus difficile de rester sur cette position.
Un autre courant, l'émergentisme, permet de se recentrer sur un concept plus intéressant qui permet aussi une exploration plus scientifique. Les propriétés émergentes peuvent apparaître du fait d'un certain niveau de complexité. Cette approche peut cependant être revue lorsque de nouvelles données viennent expliquer cette propriété émergente.
Cette nouvelle approche est bien plus prometteuse, et permettrait de se sortir d'un certain immobilisme dû à une volonté de prendre au pied de la lettre des ouvrages historiques et anciens de notre profession.
Andrault R, Definir le vitalisme, Lectures de Claude Bernard. F Duchesneau, JJ Kupiec, M Morange, Claude Bernard et la méthode de la physiologie, Editions Rue D'Ulm, pp 133-155, 2013.
Berntson et al., Evolution of neuroarchitecture, multi-level analysis and calibrative reductionism, Interface focus, 2012, 2: 65-73.
Collectif (
Crutchfield JP, Mitchell M, The evolution of the emergent computation, PNAS, 1995, 92: 10742-10746.
De la Souchère MC, Les chimistes à l'assaut de la force vitale, La Recherche, 2012, n°469, p 106.
Eckert M, le concept de globalité en ostéopathie, 1ère édition, 2013, De boeck: Bruxelle, 168p.
Raynaud D, La controverse entre organicisme et vitalisme: étude de sociologie des sciences, Revue française de sociologie, Centre nationale de la recherche scientifique, 1998, 39(4): 721-750.