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Approche scientifique de l'ostéopathie
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Le vitalisme, qu'est-ce que c'est?

Le vitalisme, qu'est-ce que c'est?

La force vitale

La force vitale

Dans le rapport de Cortecs sur l'ostéopathie crânienne, un terme est apparu à la faveur de l'analyse épistémologique de l'approche bio-dynamique en ostéopathie: Le vitalisme.

 

Développons un peu...

 

Définition:

Doctrine philosophique qui pose l'existence d'un principe vital distinct à la fois de l'âme et de l'organisme, et qui fait dépendre de lui toutes les actions organiques. (Elle est le fait de l'école de médecine de Montpellier au XVIIIe s. avec notamment Barthez et Bichat. Cette doctrine s'oppose au mécanisme de Descartes. Jacques Monod a montré que la persistance de ce courant de pensée, bien que sans fondement scientifique, était le reflet d'une analyse aux termes de laquelle le déterminisme a, en biologie, une définition et une place spécifique et fondamentale.)

Dictionnaire Larousse

Ce courant de pensée considère que la vie n'est pas réductible aux lois physico-chimiques, et que celle-ci est animée d'une force vitale. Mais tout d'abord, la vie c'est quoi?

Caractère propre aux êtres possédant des structures complexes (macromolécules, cellules, organes, tissus), capables de résister aux diverses causes de changement, aptes à renouveler, par assimilation, leurs éléments constitutifs (atomes, petites molécules), à croître et à se reproduire.

Dictionnaire Larousse

La vie est donc décrite par un certain nombre des processus qui caractérisent les êtres vivants (pluri à unicellulaire, eu et procaryote). En revanche, il n'est pas fait mention d'un principe ou d'une force vitale.

 

C'est donc l'antonyme du réductionnisme (qui veut réduire l'objet d'étude à ses plus simples composants et leurs intéractions). Le vitalisme est une doctrine philosophique qui tente de redonner du sens à la vie. Cette hypothèse fait régulièrement surface en biologie. Il semble qu'en France, pour les derniers siècles, elle soit assez liée à l'école de médecine de Montpellier dont l'influence atteint son apogée lors d'une controverse avec l'école parisienne de médecine dans les années 1820. Cette controverse arrive dans un contexte de pic de production scientifique en France. Il est fréquent de voir classés comme vitalistes des scientifiques français de renom, comme Claude Bernard, ou Louis Pasteur.

 

Dans la littérature ostéopathique:

La présence du vitalisme dans la littérature ostéopathique est particulièrement bien mis en évidence dans les textes de Still, Sutherland et de Littlejohn par l'ostéopathe Marie Eckert. Chacun à leur manière certe, mais ce principe transpire de leurs textes.

Il faut cependant remettre leurs textes en contexte, rappelons que les ouvrages datent de la charnière de la fin XIXème vers le XXème siècle. La controverse entre vitaliste et organisiste a lieu au cours du siècle passé, la médecine américaine est en cours d'organisation avec un conflit entre les médecins traditionnels (pratiquant la médecine dite héroïque) et les médecins nouvellement formés sur les standards européens plus scientifiques.

Plusieurs des fondateurs (Still et Littlejohn) de la profession d'ostéopathe sont issus d'un moule religieux assez fort. Cet aspect sacré de la vie humaine, proche de la théologie naturelle de William Paley, est notamment assez visible dans la description du corps humain comme une machine parfaite et autosuffisante par Still (Nous y reviendrons dans un prochain article).

Il n'y a donc pas forcément de surprise à voir une empreinte vitaliste, même si Littlejohn aura tendance dans ses textes à gommer l'aspect plus métaphysique.

 

Ce n'est pas une hypothèse scientifique

 

Seulement voilà, cette force vitale, ce n'est pas une hypothèse que l'on peut vérifier expérimentalement. Ce n'est donc pas une hypothèse de travail scientifique. Même si de nombreux scientifiques très célèbres du passé (Pasteur, Bichat, Bernard) ont été vitalistes, cela n'en fait pas un point de vue scientifique.

 

Mais alors comment expliquer que cette hypothèse persiste dans certains courants de l'ostéopathie, voire de biologie? Pour cela, il faut s'interroger sur ce que permet une telle hypothèse pour l'individu. Il permet d'éviter de voir la vie (nous y reviendrons dans un article consacré à George Canguilhem) se résumer à une série de lois physiques et de laisser à la vie une place à part dans le monde.

 

Face à la difficulté de tout expliquer du corps humain, de son fonctionnement, le vitalisme permet de solutionner ce problème à un coût intellectuel raisonnable. Cette théorie peut permettre de diminuer la dissonance cognitive lorsque l'on étudie le vivant. Quand à sa véracité, c'est une autre histoire. Pour démontrer son existence, il faudrait le mettre en évidence. C'est ce qui fera toujours dire qu'il s'agit au mieux d'une hypothèse sans fondement scientifique, sinon un courant philosophique, au pire d'une croyance.

 

Comprendre que le corps possède ses propres mécanismes de soins, qu'il a sa capacité d'homéostasie, de régulation, n'implique pas forcément l'existence d'une force vitale.

 

 

L'émergentisme, une position plus intéressante

 

L'émergentisme est une des positions intermédiaires entre le vitalisme et le réductionnisme. Elle repose sur le concept d'émergence.

Le vitalisme, qu'est-ce que c'est?

Des entités émergentes peuvent être le résultat de l'action d'entités plus fondamentales et pourtant être parfaitement nouvelles ou irréductibles par rapport à ces dernières.

Georges Henri Lewes, Problem of Life and Mind, 1875

Bon, l'idée contenue dans la citation n'est pas forcément évidente mais elle suppose qu'un tout n'est pas égal à la somme de ses parties et que de nouvelles propriétés peuvent émerger de leur association. En fait tout est question de complexité. À partir d'un certain niveau de complexité, de nouvelles propriétés émergent de l'association des parties. Si les parties sont bien entendu réductibles, les propriétés émergentes, elles, sont irréductibles car liées au niveau de complexité auquel elles sont rattachées.

Cette approche est étudiée en Intelligence Artificielle (Emergent computation) où il est expliqué qu'un système peut voir émerger des propriétés non prévues dans son codage initial. C'est par exemple, pour un programme, lorsqu'on le lance plusieurs fois de suite, pour les mêmes données initiales, on obtient différents résultats. Il y a donc à l'ntérieur du programme et dans les intéractions entre ses différentes sous-parties une propriété émergente (non codée au départ) qui induit un changement dans les résultats.

Bien entendu, cette approche est discutée puisque cette propriété émergente pourrait être aussi le fait d'autres propriétés non comprises dans les échelons inférieurs ou d'intéractions encore non connues.

Ce concept permet d'éviter l'écueil du recours au concept plus difficile à expliquer de "force vitale". Il s'agit une position philosophique différente qui peut mener à une autre vision du phénomène. L'émergentisme est une hypothèse, pas une vérité.

En conclusion:

 

Le vitalisme est un courant philosophique ancien qui se base sur un certain nombre de présupposés impossibles à démontrer scientifiquement. Si son existence et sa persistance dans l'ostéopathie peuvent s'expliquer pour des raisons historiques, philosophiques, mais aussi intellectuelles, il est de plus en plus difficile de rester sur cette position.

Un autre courant, l'émergentisme, permet de se recentrer sur un concept plus intéressant qui permet aussi une exploration plus scientifique. Les propriétés émergentes peuvent apparaître du fait d'un certain niveau de complexité. Cette approche peut cependant être revue lorsque de nouvelles données viennent expliquer cette propriété émergente.

Cette nouvelle approche est bien plus prometteuse, et permettrait de se sortir d'un certain immobilisme dû à une volonté de prendre au pied de la lettre des ouvrages historiques et anciens de notre profession.

Sources:

Andrault R, Definir le vitalisme, Lectures de Claude Bernard. F Duchesneau, JJ Kupiec, M Morange, Claude Bernard et la méthode de la physiologie, Editions Rue D'Ulm, pp 133-155, 2013.

Berntson et al., Evolution of neuroarchitecture, multi-level analysis and calibrative reductionism, Interface focus, 2012, 2: 65-73.

Collectif (Groupe de travail “Collectif” IAD/SMA de AFCET/AFIA), Emergence et SMA, 1997 (ici).

Crutchfield JP, Mitchell M, The evolution of the emergent computation, PNAS, 1995, 92: 10742-10746.

De la Souchère MC, Les chimistes à l'assaut de la force vitale, La Recherche, 2012, n°469, p 106.

Eckert M, le concept de globalité en ostéopathie, 1ère édition, 2013, De boeck: Bruxelle, 168p.

Raynaud D, La controverse entre organicisme et vitalisme: étude de sociologie des sciences, Revue française de sociologie, Centre nationale de la recherche scientifique, 1998, 39(4): 721-750.