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Approche scientifique de l'ostéopathie
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EN VRAC - 1 - Biais cognitifs, erreur et sciences, cervicalgie et laxité

EN VRAC - 1 - Biais cognitifs, erreur et sciences, cervicalgie et laxité

Le net fourmille d'articles et de vidéos intéressants, j'essaye de partager le maximum de ces liens via la page facebook du blog (ici) mais aussi pour illustrer certains propos dans mes articles du blog. L'information et la connaissance n'ont d'intérêt que si elles circulent, sont discutées et partagées.

Néanmoins, certaines n'ont pas vocation à illustrer certains de mes articles, ni forcément à être partagées tel quel sur la page facebook, c'est pourquoi, je vais essayer de les partager sous ce format.

 

Les biais cognitifs:

 

Ce sujet fait un peu suite au billet de blog sur le Rapport Cortecs. Les biais cognitifs sont des freins au sens critique et à l'analyse critique. Il est intéressant de les connaître pour essayer de lutter contre eux.

 

 

C'est difficile de remettre en question certaines choses prises pour acquises et la connaissance des biais ne suffit pas à s'en prévenir. Il y en a un certain nombre qui peut parfois nous faire fausse route. Je vais en détailler juste un seul, parce que je pense qu'il pèse assez lourd dans certains échecs dans nos recherches.

Le biais de confirmation:

C'est la tendance à favoriser la sélection d'informations confortant notre idée ou notre hypothèse sans forcément prendre suffisement de temps et de recul pour évaluer leur véracité. C'est, par exemple, la tendance à partager et valoriser des articles qui vont dans notre sens, sans prendre le temps d'analyser le fond de l'article et ses sources.

Mais il y a aussi devant la même information la possibilité de l'interpréter différement parce qu'elles passe par le prisme de notre vision des choses et de notre système de croyance, de connaissances. J'ai le souvenir d'un congrès consacré à la recherche en ostéopathie il y a 3 ans où lors d'un atelier de Jorge Esteves, il nous avait proposé un certain nombre d'assertions. Et l'assemblée, divisée en petit groupe, devait analyser ces phrases qui étaient soit "scientifiques" (des assertions amenant la preuve de ce qu'elles expliquaient, souvent empreintes de nuances), soit "non-scientifiques" (des assertions très affirmatives, très tranchées sans preuve). À la fin, chaque groupe devait indiquer quelles phrases pouvaient être vraies et lesquelles n'étaient vraiment pas digne de confiance.

Les résultats de cette petite expérience avaient mis en évidence deux groupes aux résultats totalement inversés. Les phrases étant les mêmes pour tout le monde, il était intéressant de voir que les résultats puissent être aussi tranchés. Alors pourquoi ce résultat? Probablement que plusieurs explications peuvent être à l'origine de ceci: le biais de confirmation, une éducation plus poussée en recherche, une habitude de lire des publications scientifiques? Les animateurs du workshop visiblement collectaient les données à travers plusieurs congrès en Europe... peut-être qu'une publication sortira bientôt dans l'IJOM sur le sujet... à surveiller !

 

À noter que les biais concernent certains de nos sens utilisés pour l'examen clinique, j'en avais dejà parlé dans un précédent billet (ici).

 

 

La question de l'erreur en science:
Couverture de l'ouvrage "Mesurer le monde"

Couverture de l'ouvrage "Mesurer le monde"

L'erreur fait partie de tout processus de recherche. L'ouvrage Mesurer le monde en fait l'illustration à travers l'histoire de la création du système métrique et de son unité le mètre. Employée quotidiennement, combien savent vraiment comment cette unité a été forgée au milieu du chaos de la révolution française par deux savants français: Jean-Baptiste Delambre et Pierre-François-André Méchain.

Le premier mètre étalon est basé sur le méridien de Paris compris entre Dunkerque et Barcelone. Le but était de supprimer la multitude des unités ayant cours pour fluidifier les échanges commerciaux et faciliter la gestion des ressources à une période trouble. Afin de faciliter son acceptation, il ne fallait pas qu'elle soit purement arbitraire, il fallait qu'elle soit basée sur un élement non contestable: les dimension de la Terre. Seulement voilà, après un périple de plusieurs années, celle-ci était empreinte d'une erreur de mesure. Une erreur qui perdure encore aujourd'hui, mais parce la définition du mètre a été modifiée en conséquence.

Face à une erreur, il y a deux façons de réagir:

  • Cacher l'erreur, c'est que fera Delambre qui mettra cependant sous scellé les données et toute la correspondance sans les détruire pour permettre aux générations futures d'analyser l'ensemble des données et comprendre les impératifs qui ont dicté ce choix.
  • Essayer de corriger l'erreur, c'est que fera Méchain (mais il décèdera avant d'avoir le temps de le faire).

L'ouvrage original de ces deux savants est disponible sur Gallica: ici.

Cependant, l'erreur est un moteur de la recherche, et il ne faut pas porter dessus un regard négatif. C'est par l'erreur qu'on avance et ne pas obtenir les résultats attendus, c'est déjà un résultat. Ce n'est pas encore bien ancré dans le système actuel. C'est probablement là un écueil qui conduit à ne pas publier de résultats, faisant répéter par d'autres l'expérience qui ne sera pas davantage publiée. Tout cela entraine un gachis de moyens, de temps et de personnes ; dans une discipline comme la nôtre où les possibilités d'études ne sont pas légions, c'est d'autant plus préjudiciable.

 

  • Le livre:

Alder K, Mesurer le monde, l'incroyable histoire de l'invention du mètre, 2015, Flammarion, Collection LibresChamps, 653p. (Prix: 9€)

 

Les erreurs en science, ce n'est pas nouveau, ça a concerné des scientifiques importants (Estein, Poincaré). Je vous laisse quelques vidéos sur le sujet:

 

 

Un lien entre cervicalgie chronique et hyperlaxité capsulaire cervicale?

 

 

Une publication en open access (Steilen et al, 2014) est sortie en 2014 sur la possibilité d'un lien entre cervicalgie chronique, laxité capsulaire et instabilité cervicale. Elle a été reprise cette semaine sur la page facebook de Bruno Bordoni, un Ostéopathe qui publie très fréquemment dans des peer-review journal.

C'est une explication que l'on peut entendre souvent sur l'entretien des douleurs cervicales à propos des personnes qui tordent sans cesse leur cou (over manipulation syndrom) pour le faire craquer mais qu'en est-il réellement? Cette publication est-elle fiable?

En fait, si on fait une petite revue de littérature sur Pubmed avec les termes suivant "Cervical"+ "Pain"+"Capsular"+"Laxity" et pourquoi pas "over"+"manipulaton"+"syndrom" pour se faire un avis rapide sur la question, on a 503 résultats. Comme tout ne correspond pas à notre question, nous allons faire un tri rapide sur la base du titre, plus que résultats (11 résultats sur la première recherche dont l'article en question + 1 résultat de la seconde recherche). Nous allons procéder à un second tri sur le contenu pour ne retenir que 7 articles (6+1).

 

 

 

 

 

 

Protocole de recherche bibliographique suivi le 19/02/16

Protocole de recherche bibliographique suivi le 19/02/16

C'est une recherche rapide suivant le schéma des revues de littérature systématiques. Le but n'étant pas de publier dans une revue mais de se faire un avis, nous serons un peu large dans les critères de jugement. Malgré ça, les seuls articles un peu pertinents renvoient à la notion de subluxation qui est un peu le pendant chiropractique de la dysfonction somatique chez les ostéopathes. Les seuls articles nous livrant une notion d'hypermobilité sont anciens (Bird et al, 1978, Kirk et al, 1967) ou alors il s'agit de cas cliniques (Mc Gregor et Mior, 1989a et 1989b). Il y a aussi un autre cas clinique plus récent en chiropractie sur le syndrome d'hyperlaxité articulaire bénigne (Strunk et al, 2014). Seule une étude très fouillée sur la biomécanique des articulations cervicales postérieures vaut le détour (Jaumard et al, 2011). Enfin, nous retrouvons notre étude.

Il n'y a aucune trace sur Pubmed sur l'over manipulation syndrom. Cette entité n'existe pas ou sûrement pas sous ce terme. Il faut donc la prendre avec précaution.

Notons tout d'abord en regardant, que le site parlant de l'over manipulation syndrom a pour but de promouvoir son centre de médecine régénérative basé sur la prolotherapy (une technique de médecine régénérative). Ce centre où travaille notamment l'un des auteurs de l'étude dont je vous parlais au début.

Reprenons l'article du début, il est dit en introduction que l'instabilité cervicale (symptomatique) qui dépasse le cadre de l'hypermobilité cervicale (asymptomatique) ne possède pas de tests fiables pour la mettre en évidence. Après de brefs rappels anatomiques, cette instabilité pour laquelle il existe peu de traitements convaincants et qu'il est difficile de mettre en évidence d'après les auteurs se trouve être une indication de choix pour la prolotherapy. Malgré les difficultés de mise en évidence, les auteurs proposent le scanner et l'IRM pour mettre les tissus mous en évidence. Ils utilisent pour illustration une image reconstruite en 3D d'une probable "subluxation" de 70% de C1 par rapport à C2. Ils listent une longue suite d'affections pouvant être responsables de cette instabilité. Après des rappels sur la cicatrisation, cet article insiste sur les résulats de 3 études sur la prolotherapy et sur les résultats qu'ils obtiennent dans leur clinique.

 

Mais au final, cet article ne nous apprend pas grand chose sur un éventuel lien démontré entre la laxité capsulaire, l'instabilité cervicale, et les douleurs chroniques. Le modèle physiopathologique n'est pas davantage démontré.

Ce fameux over manipulation syndrome n'est pas prouvé. Je pense que ce syndrome est surtout la manifestation d'une douleur chronique non prise en charge qui se transforme en habitude pour le patient, quant à ses conséquences dégénératives ou un éventuel mécanisme d'entretien des douleurs par le fait de se faire craquer les cervicales, ils sont encore à démontrer.

Quant à la notion de subluxation (très employée en chiropractie), je vous conseille l'article: Subluxation: dogma or science? (Keating et al, 2005) qui nous montre que la question de la définition et de la réalité de la subluxation est assez proche de celle de la dysfonction ostéopatique ou somatique chez nous.

Enfin, je laisse ceux qui sont intéressés par la prolotherapy aller effectuer une petite recherche sur Pubmed mais il y a assez peu d'études disponibles, principalement des essais sur des souris, quelques cas cliniques, une revue de littérature et quelques études (dont une en double aveugle)

 

Sources:

Bird et al, Joint hypermobility leading to osteoarthrosis and chondrocalcinosis. Ann Rheum Dis. 1978 Jun; 37(3): 203–211.

Jaumard et al, Spinal Facet Joint Biomechanics and Mechanotransduction in Normal, Injury and Degenerative Conditions, J Biomech Eng. 2011 Jul; 133(7): 71010–NaN.

Keating et al, Subluxation: dogma or science? Chiropr Osteopat. 2005; 13: 17.

Kirk et al, The hypermobility syndrome. Musculoskeletal complaints associated with generalized joint hypermobility, Ann Rheum Dis. 1967 Sep; 26(5): 419–425.

Mac Gregor et Mior, Anatomical and functional perspectives of the cervical spine: Part I: the “normal” cervical spine,J Can Chiropr Assoc. 1989 Sep; 33(3): 123–129.

Mac gregor et Mior, Anatomical and functional perspectives of the cervical spine: Part II: the “hypermobile” cervical spine, J Can Chiropr Assoc. 1989 Dec; 33(4): 177–183.

Steilen et al, Chronic Neck Pain: Making the Connection Between Capsular Ligament Laxity and Cervical Instability, Open Orthop J. 2014; 8: 326–345.

Struck et al, Multimodal chiropractic care of pain and disability for a patient diagnosed with benign joint hypermobility syndrome: a case report. J Chiropr Med. 2014 Mar;13(1):35-42

 

 

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui !

 

À venir sur le blog prochainement, deux articles:

 

 L'importance du cas clinique en ostéopathie

Le but sera de montrer que bien présenté et bien détailllé, ce type d'articles a son importance dans notre littérature ostéopathique scientifique pour alimenter la réflexion.

 

 Le vitalisme qu'est ce c'est?

On lit fréquemment que les fondateurs de l'ostéopathie et leur concept sont vitalistes. Mais en fait en quoi ça consiste? Nous allons détailler le sujet pour essayer de savoir ce que c'est: Philosophie? Croyance? Concept scientifique?